La petite absente
hier soir, j'ai lu la petite absente. Pourquoi ? Parce que la petite couverture blanche, avec le ruban rouge autour, un peu comme dans toutes les libraires. Ce petit livre semblait perdu entre deux énormes polars dans la bibliothèque de ma mère. Alors quand je suis rentrée dans leur chambre, avant d'éteindre la lumière et la télé, je l'ai pris.
Je n'ai pas pu demander "il est bien celui là?" ; mes parents dormaient déja, endormis devant le téléfilm de la une.
Je l'ai pris, je l'ai emmené dans ma chambre, je me suis installée bien confortablement.
Un peu après [ellipse temporelle] je l'ai fini.
Ce livre ne m'a pas touchée, émue comme il aurait du.
Pourtant, c'est une histoire d'amour. Le genre d'histoire d'amour qu'on commence à 20 ans et qui ne se finit jamais vraiment complètement. Un amour avec le fantôme d'une petite fille de 4 mois entre eux.
Il aurait pu plus me toucher, parce que l'auteur décrit un amour comme on rêve d'en connaître.
Alors, une fois le livre terminé, je me suis mise à penser.
Ça m'a rappelé un mois d'Août et cette voix qui me promettait le bonheur.
parce qu'à deux, on est toujours plus forts.
Ça m'a rappelé cet été là.
Probablement le pire de ma vie. Un été loin de tout, un été de silence.
24 jours sans parler à personne. 24 jours à éviter mes parents.
À craquer, à boire du lait le matin, parce que j'aime ca.
À écrire, beaucoup. Et à finir par tout jeter.
À comprendre que je n'avais toujours pas fait le deuil.
Un été à penser qu'en deux ans, j'étais toujours au point de départ.
Que cette année noire de ma vie ne s'éloignait pas de moi.
Le matin, je me regarde, et je l'entraperçois.
Ses cheveux bouclés, les mêmes que les miens, son rire, les reproches qu'elle me faisait toujours avec douceur.
Son image. D'avant.
D'avant cette année qui a commencé un soir de septembre, à Rocha Chana, par une phrase anodine.
"J'ai des migraines, j'ai passé un IRM, les médecins s'inquiètent"
Cette petite phrase. Qui a commencé une année qui allait être si sombre.
Les week-ends sans parents, parfois avec eux et chez elle.
Au début, elle riait encore. Elle ne nous montrait pas.
Mais avec le début de la chimio, la bonne humeur est partie.
Je me souviens de son crâne, chauve, qui dépassait de son chapeau.
Je me souviens de sa maigreur, de ses bras fins. De la perf' de morphine dans sa chambre.
Et j'en veux aux adultes de ne pas m'avoir protégée. De me l'avoir annoncé si brutalement. De m'avoir mise en face de cette réalité-la, celle-la même que je ne voulais pas voir.
J'en veux à ma mère, des conversations chuchotées et entendues dans la cuisine.
Du secret qu'elle a gardé un an. Parce qu'elle savait. Les médecins lui ont dit, à elle. Qu'il ne restait pas d'espoir, qu'il ne restait qu'un an à vivre à la personne qu'elle chérissait. Et le pire, c'est qu'ils avaient raison.
Pour les adultes en charge, je suis restée cette petite fille aux grands yeux qui regardait tout mais ne parlait pas.
Je le suis resté longtemps. Sûrement trop.
Je suis la petite fille qui a connu trop tôt des mots qui ne devraient pas être dans la tête d'une enfant de 10 ans.
Toxicomanie. Méthadone. Qui a assisté à plusieurs TS. Parce que c'est toujours plus facile avec des sigles. TS, ça empêche de dire Tentative de Suicide. Hépatite C.
Une petite fille qui tremble dans son lit quand le téléphone sonne la nuit.
Une petite fille qui va voir la personne qu'elle aime le plus au monde dans un hôpital psychiatrique. Elle a douze ans.
Je ne suis plus cette petite fille. mais cette petite fille, elle est en moi.
Je n'oublierai pas.
J'ai encore beaucoup de chagrin. Je ne le montre pas, mais il est là.
Et je me demande souvent, si au bout d'un temps, la douleur sourde de l'absence diminue.